Quels leviers pour renforcer la sécurité alimentaire en Afrique?
Tout d’abord, je souhaite vous remercier pour votre présence à ce premier séminaire spécialisé sur les opportunités et les défis, en Afrique, pour les investissements privés agroalimentaires européens.
Ce séminaire arrive à un moment important pour la relation UE/Afrique dans le domaine agroalimentaire. Depuis les années 1980, l’aide publique au développement agricole a été divisée par deux, malgré l’augmentation globale de l’aide au développement. L’agriculture représentait 17% des programmes. Elle n’en représente plus que 6 ou 7%. L’agriculture était reléguée au second plan, au profit d’autres priorités politiques et économiques, malgré le défi de la faim dans le monde, du changement climatique ou encore du maintien de l’emploi dans les zones rurales.
Les émeutes de la faim, en 2007/2008, on fait reprendre conscience des enjeux liés à l’agriculture et des risques liés au sous-investissement. L’agriculture est redevenue une priorité. Il n’y a pas un jour qui passe sans qu’il y ait une référence à la sécurité alimentaire – en Egypte, dans l’Afrique Sub-Saharienne, le Sahel ou la Corne de l’Afrique…
La Communauté internationale a pris l’engagement de remettre l’agriculture au cœur de la politique de développement, notamment dans le cadre du G8 et du G20. L’Union européenne est mobilisée pour que le plan d’action mis en place dans le cadre du G20 soit appliqué de façon effective et qu’il implique également le secteur privé. Je reste impliqué dans ce processus de façon très active.
Ce retour de l’agriculture au premier plan devrait se traduire, dans les relations bilatérales entre l’Union européenne et l’Afrique, de façon concrète, par le biais d’un partenariat stratégique dans le domaine agricole. Le Sommet UE/Afrique d’avril 2014 ouvre une fenêtre pour travailler à un agenda commun.
Et j’ajoute que le Sommet de Durban de fin mars qui réunissait les BRICS (Brésil, Russie, Inde, Chine, Afrique du Sud), montre l’importance, aussi pour l’Union européenne d’être présente dans ce débat sur la sécurité alimentaire et de ne pas tourner le dos à l’Afrique alors que d’autres parties du monde s’y intéressent de plus en plus. L’Europe reste un partenaire de premier plan et un des principaux donateurs pour la région. Mais il est important de participer à la nouvelle dynamique, en particulier dans la zone subsaharienne, avec des investissements possibles pour de nombreuses entreprises européennes. Beaucoup de coopératives ou d’entreprises, petites et moyennes, peuvent réaliser des investissements responsables dans le cadre d’une relation gagnant-gagnant avec des partenaires locaux.
La Communauté internationale peut créer une dynamique. Mais ce ne sont pas les institutions qui peuvent changer la réalité sur le terrain. Ce sont les acteurs locaux, régionaux, nationaux, les pouvoirs publics et les investisseurs privés qui peuvent véritablement changer la donne. Il est donc capital d’impliquer les agriculteurs individuels, les coopératives agricoles, les industries petites, moyennes et grandes des pays en développement et des pays développés. Et c’est le sens de la journée d’aujourd’hui qui est un point de départ.
Les perspectives de croissance sont là. La croissance du secteur agricole a été de 3,4% par an, ces dix dernières années. Le continent africain dispose de 25% des terres fertiles de la planète et compte pour 10% de la production agricole mondiale : les marges de progression sont devant nous, si l’on parvient à améliorer l’accès au crédit et aux techniques agricoles ; à développer des infrastructures de transport et de stockage ; à accroître la valeur ajoutée et l’intégration des petits agriculteurs aux circuits économiques.
Les acteurs de la chaine alimentaire sont les premiers intéressés et les plus compétents pour développer cette chaine, la tirer vers le haut, y compris les acteurs privés européens qui ont des compétences à faire valoir. Chaque acteur peut jouer un rôle important pour mieux intégrer le premier maillon, les petits producteurs, au sein des marchés locaux, régionaux et internationaux. L’UE a des technologies, des savoir-faire, mais aussi un tissu remarquable d’ONG qui peuvent aider à nouer des partenariats, par exemple, entre les organisations d’agriculteurs européennes et subsahariennes.
Sur l’ensemble de ces sujets, je pense que la réflexion d’aujourd’hui pourra alimenter le processus de préparation de l’Année internationale de l’agriculture familiale qui se tiendra l’année prochaine.
Les actions des pouvoirs publics comme privés doivent être coordonnées et responsables pour non pas exclure les petits agriculteurs, mais les intégrer au processus de développement. C’est le cas, en particulier sur la question de l’accès à la terre.
Acteurs publics et privés ont une co-responsabilité dans ce domaine. D’un côté, des régimes fonciers doivent être mis en place, respectueux des droits des populations locales ; de l’autre, les acteurs privés doivent respecter et travailler en partenariat avec les communautés locales, les impliquer. C’est dans l’intérêt de chacun. Le développement du secteur agricole, en Afrique, passe d’abord par le développement des petits agriculteurs – 70% des agriculteurs africains – ce qui est considérable étant donné que 64% de la population africaine est rurale.
Une des clés du développement, c’est la création de valeur ajoutée par et pour les agriculteurs et leur famille. C’est la valeur ajoutée qui rend les agriculteurs moins dépendants des prix des matières premières de base, qui permet de sortir de la pauvreté et, en fin de compte, de soutenir la croissance et l’emploi dans les zones rurales. Non seulement, les communautés locales doivent avoir la possibilité de produire localement leur nourriture, mais elles doivent aussi pouvoir s’enrichir, accroître leur intégration sur les marchés – donc transformer leurs produits et mieux les valoriser.
En tant que pouvoir public, l’Union européenne peut appuyer les initiatives. Nous pouvons aider non seulement comme financeur, mais aussi avec une expertise technique et politique, acquise avec la Politique agricole commune, par exemple, en matière de gestion des marchés, d’organisation des agriculteurs, d’encouragement à la recherche, l’innovation ou à la valorisation de la qualité des produits.
Nous avons déjà avancé, par exemple, avec la signature avec l’Organisation régionale africaine de la propriété intellectuelle (ARIPO) de l’accord de coopération qui vise à améliorer la protection des produits traditionnels, en Afrique. Nous travaillons également sur la question de l’agriculture biologique.
La Commission européenne est pleinement disponible et engagée avec nos partenaires africains pour intégrer l’agriculture et l’agroalimentaire dans son programme d’action extérieure. Je travaille en ce sens, en lien étroit avec mon collègue le Commissaire Piebalgs, notamment via l’initiative CAADP (Programme global de développement de l’agriculture africaine) qui fête ses 10 ans cette année, les initiatives nationales ou régionales, mais aussi, les initiatives que nous avons lancées avec l’Union africaine. J’espère que la journée d’aujourd’hui va permettre de renforcer la présence et l’intérêt du secteur privé européen pour l’Afrique. La Commission est prête à jouer le rôle de facilitateur, à aider à la mise en place de stratégies nationales, avec nos partenaires africains, pour le développement durable d’un secteur agricole et agroalimentaire solide, avec cet objectif