Une agriculture rentable avec moins d’herbicides ? C’est possible !
L’usage massif des herbicides dans l’agriculture pose question. Mais pourrait-on s’en passer ? Pour le savoir, l’Inra mène une expérimentation depuis 12 ans en Bourgogne. L’ingénieur de recherche Nicolas Munier-Jolain dresse un bilan plutôt positif de ces systèmes de culture en protection intégrée. En utilisant certains leviers, la quantité d’herbicides utilisés a été divisée par 3 !
Les plantes adventices, plus communément appelées mauvaises herbes, ne sont pas appréciées dans l’agriculture. Elles peuvent entrer en compétition avec les végétaux cultivés (pour l’espace, l’accès à la lumière, etc.), favoriser l’arrivée de parasites ou déprécier les cultures (par exemple, en modifiant le goût de la production). Par conséquent, elles sont depuis longtemps éliminées au moyen d’herbicides.
Le recours à ces produits phytosanitaires fait l’objet d’une polémique croissante. Car les composés chimiques qu’ils contiennent, comme le glyphosate ou l’aminotriazole, participent activement à la pollution des eaux de surface et souterraines. Or, ils peuvent être bioaccumulés et peut-être avoir des effets sur la santé des organismes. Face aux tensions croissantes causées par l’utilisation des herbicides, l’Institut national de la recherche agronomique (Inra) a voulu savoir s’il était possible de réduire, voire de supprimer, leur utilisation en agriculture.
Quatre systèmes de culture en protection intégrée ont donc été lancés voici 12 ans, pour tester diverses pratiques agricoles alternatives ainsi que leurs effets combinés. Nicolas Munier-Jolain, un ingénieur de recherche de l’UMR Agroécologie (Dijon), revient pour Futura-Sciences sur le bilan de ces 10 dernières années. Réduire l’utilisation des herbicides serait « possible », mais « pas facile pour autant à mettre en œuvre dans les exploitations agricoles, car cela demande des changements profonds au sein des exploitations, mais aussi dans les filières agricoles et au-delà ».
Réduire l’utilisation des herbicides dans l’agriculture serait possible, mais demanderait plus de temps de travail par hectare. Cependant, il serait mieux réparti dans l’année qu’actuellement, notamment grâce à la diversification des cultures. La situation ne serait donc pas désavantageuse pour les exploitants. © possumgirl2, Flickr, cc by sa 2.0
« Nous avons de la chance car nous disposons d’un grand nombre de leviers d’ordre agronomique [NDLR : de moyens d’action] qui contribuent à gérer la flore adventice. Mais nous avons aussi une malchance car, utilisé seul, chacun d’entre eux est peu efficace par rapport à un herbicide. Nos questions ont donc été : la combinaison des leviers peut-elle devenir suffisamment efficace et permettre de maîtriser la flore adventice avec moins d’herbicides ? Peut-on aussi optimiser les interactions entre leviers ? » Les chercheurs ne se sont pas arrêtés là. Si la solution trouvée est bonne, encore faut-il qu’elle soit utilisable à grande échelle. « Nous nous sommes aussi posé des questions sur les conséquences d’ordre économique, organisationnel ou environnemental que nos démarches peuvent avoir. »
Le dispositif expérimental comporte plusieurs prototypes correspondant à diverses combinaisons de leviers de gestion. Le système « Protection intégrée typique (n° 4) » combine tous les leviers disponibles. Il a notamment fait l’objet d’une diversification des cultures, de labours et de faux-semis. Des herbicides chimiques ont été utilisés en dernier recours.
« Chaque adventice présente un cycle de vie assez marqué, avec des périodes de levées et de disséminations de semences bien précises. Si nous faisons de la monoculture, les espècesadaptées à la plante cultivée pourront se redévelopper, produire leurs semences et se multiplier tous les ans. » En revanche, elles vont être perturbées, ce qui affectera leur croissance, si les dates de travail du sol, de semis et de récolte varient chaque année. C’est exactement ce qui se produit avec la diversification des cultures. Les différentes variétés végétales cultivées d’une année à l’autre requièrent en effet des pratiques agricoles qui leur sont propres.
Le travail du sol pour gérer les adventices
« Le deuxième levier est le travail du sol qui se divise en deux composantes. Le labour est une technique culturale ayant pour fonction de retourner le sol. Ce faisant, il enfouit les graines de mauvaises herbes en profondeur. » Cette pratique remonte également d’anciennes semences, mais elles ont perdu en viabilité durant leur séjour sous terre. Il faudra donc moins d’herbicides pour traiter les graines qui germeront.
« Les faux-semis, c’est-à-dire un travail superficiel du champ qui contribue entre autres à casser les mottes ou à affiner la structure du sol, stimulent la germination des graines d’adventices. »Réalisée durant l’interculture, cette pratique permet donc de faire pousser les mauvaises herbes avant de semer, ce qui facilite leur destruction. Le fait de répéter régulièrement cette pratique permet d’épuiser progressivement le stock semencier.
Ces quelques exemples de leviers ne sont pas exhaustifs. Le système n°4 a également fait l’objet de désherbages mécaniques, d’une sélection précise des variétés cultivées et d’une densification des semis sur une surface donnée.
e système « Protection intégrée typique (n°4) » a également fait l’objet d’une densification des semis. En grandissant, les plantes cultivées étouffent les adventices. Ces dernières ont donc accès à moins d’énergie (baisse de la photosynthèse), ce qui ralentit leur croissance et la production de semences. © SFB579, Flickr, cc by nc sa 2.0
De nombreux bilans positifs mais…
Tous les efforts menés dans le système n°4 se sont soldés par des résultats encourageants.« Globalement, nous sommes bien parvenus à maîtriser la flore adventice d’un point de vue technique. […] La quantité d’herbicides appliquée a été divisée par 3 en moyenne sur 12 ans. » En revanche, la réduction fut plus modeste, de l’ordre de 30 %, dans un autre système n’utilisant ni labour, ni désherbage mécanique, ce qui favorise le développement de graminées qui nécessitent un nombre accru de traitements phytosanitaires.
Les labours ou les faux-semis requièrent une plus grande utilisation d’engins motorisés, ce qui pourrait faire grimper le bilan carbone des systèmes testés. Cependant, les cultures nécessitent moins d’engrais (donc moins d’énergie pour fabriquer ces derniers), notamment du fait de la diversification avec des cultures légumineuses fixatrices de l’azote de l’air. Au final, le bilan desémissions de CO2 reste sensiblement le même quel que soit le système étudié, conventionnel ou en protection intégrée. Les leviers utilisés ont également limité les attaques de ravageurs et de maladies : la quantité de pesticides épandus a donc été réduite. Le bilan écotoxicologique du système n°4 s’est donc avéré très bon.
Reste la question de la productivité. « Les charges liées aux intrants sont moindres [NDLR : de l’ordre de 170 euros par ha], que ce soit pour les herbicides ou les autres pesticides. […] Malheureusement, ces systèmes sont moins productifs [NDLR : la perte de produit brut représenterait environ 200 euros par ha]. » Deux raisons permettraient d’expliquer la baisse de productivité. Les rendements, ceux du blé par exemple, ont tendance à diminuer car les cycles culturaux sont plus courts, notamment à la suite d’un recul volontaire des dates de semis. Par ailleurs, les cultures de diversification semblent être moins productives que les céréales et le colza du système de référence. Ces facteurs étant connus d’avance, la baisse de productivité était attendue.
Les systèmes alternatifs ne sont-ils pas viables pour autant ? « Ils sont difficiles à promouvoir auprès des agriculteurs actuellement. Étant peu gourmands en pesticides, ils peuvent néanmoins devenir intéressants sous certaines conditions économiques. Le contexte actuel caractérisé par des prix des produits agricoles très élevés est peu favorable à la protection intégrée, car les baisses de charges ont plus de mal à compenser les baisses de productivité. Mais il existe des soutiens publics sous la forme de mesures agroenvironnementales qui peuvent compenser le différentiel localement. Les ordres de grandeur des pertes brutes et des mesures agroenvironnementales se recouvrent, ce qui permet aux systèmes à faible usage d’herbicides de devenir intéressants d’un point de vue économique pour l’agriculteur. L’enjeu majeur pour l’agriculture consiste à trouver des pistes de diversification assurant la rentabilité économique des systèmes avec peu de pesticides. Les agriculteurs doivent s’organiser pour cela, avec l’aide des organismes stockeurs, car la diversification est évidemment dépendante de l’organisation locale des marchés. »